Thème I : Nouvelles Méthodes Théoriques
Systèmes fortement corrélés

L’enjeu méthodologique fondamental de la chimie théorique concerne le traitement numérique du problème électronique à N corps qui implique la représentation de fonctions de nombreuses variables corrélées et la résolution des équations associées. Récemment, la méthode DMET (Density Matrix Embedding Theory) a proposé de découper le problème de N particules en interaction, en sous-systèmes de taille raisonnable (facilement diagonalisable) et d’optimiser le potentiel d’interaction de chaque sous-système, via une procédure auto-cohérente contrainte basée sur la décomposition de Schmidt. Si cette méthode permet un meilleur traitement de la corrélation électronique que la DFT, elle n’obéit pas à un principe variationnel strict (Rayleigh-Ritz) ce qui limite son implémentation dans les codes de chimie quantique. Dans la perspective des ordinateurs quantiques qui proposent des algorithmes de diagonalisation particulièrement efficaces, cette méthode apparaît pourtant comme optimale pour anticiper les verrous liés à la transition numérique à venir. 

Dans ce cadre, nous proposons une alternative variationnelle à la méthode DMET pour accéder à une meilleure description des systèmes corrélés, sans coût numérique additionnel par rapport à la DFT (Projets ANCRE, MUSE).
Hamiltoniens Diabatiques

La photochimie théorique et computationnelle jouit d’un statut assez central du fait de sa déclinaison en trois défis majeurs pour décrire quantitativement (i) les fonctions d’onde électroniques, (ii) les énergies potentielles et (iii) les fonctions d’onde nucléaires. Si la dynamique quantique a atteint une maturité permettant aujourd’hui d’envisager le traitement de molécules possédant quelques dizaines d’atomes, un verrou persiste pour la représentation de l’énergie potentielle des grands systèmes. Une stratégie reposant sur l’utilisation d’une représentation diabatique des états électroniques (dont la nature chimique est préservée) est une façon de hiérarchiser les termes de corrélation dans l’énergie potentielle, de façon rationnelle. La notion d’état diabatique est sous-jacente à de nombreux concepts essentiels en chimie (diagrammes de corrélation, modèles sur sites, approches Valence-Bond, théorie de Marcus…) qui décrivent tous la réactivité chimique comme une réorganisation des liaisons et des paires libres, corrélée à un changement de géométrie du système. Dans ce contexte, nous souhaitons mettre en œuvre une méthode de diabatisation originale, basée sur des descripteurs caractérisant la localité des transferts de charge ou d’excitations, associés aux états électroniques excités.

Ces outils permettront de décrire de façon compacte l’évolution temporelle de la densité électronique au cours d’un processus photochimique ou photophysique, puis ils pourront être utilisés dans le cadre d’un post-traitement de la dynamique on-the-fly pour définir le sous-espace d’états diabatiques pertinent exploré au cours de l’évolution du système photo-excité.
Développement de Codes de Chimie Quantique

Plusieurs membres du département ont une activité de développement significative sur différents codes de calcul libres, aujourd’hui distribués dans la communauté des chimistes théoriciens pour répondre aux besoins spécifiques du département CPT&M et de la communauté internationale, en matière de modélisation. Les implémentations concernent : (1) L’intégration du calcul d’énergie libre et des méthodes « embedding »  de type QM/MM dans le code DFT deMon2K – density of Montreal,  (2) L’interfaçage du code MESRA – Molecular Electronic-Structure Reorganization: Analysis avec les codes courants de chimie quantique (Gaussian09, Gaussian16, Quantum Package…).  (3) L’implémentation de procédures de diabatisation on-the-fly dans le code QUANTICS 

Thème II : Approches multi-échelles
Transport Thermique dans les Matériaux Désordonnés

Prédire les propriétés de transport thermique dans les matériaux présentant un taux de défauts important est un problème typiquement multi-échelles. La possibilité de quantifier ab initio ces propriétés constituerait une avancée significative dans divers domaines d’application comme la thermoélectricité où les matériaux les plus performants présentent des désordres structuraux/chimiques et/ou des défauts étendus. Si la résolution des équations de transport de Boltzmann donne des résultats fiables pour accéder aux propriétés de transport des matériaux cristallins parfaits, cette méthode ne peut pas être stricto sensu étendue aux matériaux amorphes/désordonnés pour lesquels la fonction de réponse spectrale n’est pas connue. Nous proposons donc de développer une nouvelle procédure computationnelle pour aborder cette problématique en intégrant le désordre structural, le désordre chimique et les inhomogénéités (dislocations, multi-phasages…) souvent rencontrées dans les matériaux thermoélectriques. Pour chacune de ces étapes, certains outils théoriques devront être développés (Projet DECATRAN). 

La conductivité thermique pourra alors être calculée par une approche multi-échelles, en intégrant les paramètres issus des calculs ab initio dans les équations de transport qui seront résolues par simulations Monte Carlo.
Réactivité aux interfaces

La réactivité aux Interfaces est un domaine de la chimie théorique en pleine expansion qui s’inscrit dans un contexte plus général lié au développement d’approches multi-échelles. Dans le domaine de la catalyse (homogène ou hétérogène) et de l’énergie, la maîtrise et le contrôle des interfaces est indispensable pour améliorer les performances des dispositifs aujourd’hui développés à l’échelle industrielle. Qu’elles impliquent des complexes moléculaires en interaction avec un solvant, des matériaux poreux, des nanoparticules soumis à un gaz ou des électrodes solides en contact avec des électrolytes liquides, les interfaces catalytiques ou électrochimiques sont le siège de réactions chimiques qui nécessitent non seulement une bonne description atomistique de l’interface (géométrie moléculaire, morphologie des particules, surfaces, taille des pores dans les architectures hybrides…) mais aussi et surtout la prise en compte de l’environnement (solvant, gaz …) et des stimuli extérieurs (lumière, potentiel, température…) qui peuvent modifier de manière significative les grandeurs thermodynamiques et cinétiques de ces réactions. Dans ce contexte, nous poursuivrons nos développements méthodologiques antérieurs pour intégrer la complexité de toutes ces interfaces dans des approches canoniques et/ou Grand canoniques généralisées couplant méthodes quantiques (DFT/ab initio), hybrides (QM/MM, QM/PCM), dynamique moléculaire (classique et ab initio) et Monte Carlo.

Quantifier les paramètres thermodynamiques et cinétiques des interfaces catalytiques et électrochimiques est un prérequis indispensable pour aborder de manière statistique les mécanismes réactionnels mis en jeu dans les dispositifs industriels et contribuer à l’amélioration de leurs performances.

Nouveaux Potentiels Réactifs EVB

Un thème fédérateur pour le département concerne le développement de nouveaux potentiels réactifs pour la dynamique moléculaire classique. Une approche à la fois fiable et facile à mettre en œuvre pour la modélisation des réactions chimiques suppose une fonction d’énergie potentielle correctement définie. La définition de potentiels empiriques réactifs permet de traiter des systèmes de grande taille, pour lesquels la dynamique moléculaire ab initio reste prohibitive. Parmi les différentes classes de potentiels réactifs, nous souhaitons particulièrement développer des potentiels de type EVB, basés sur une vision « Valence Bond » transposée aux champs de force empiriques classiques dépendants de la connectivité interatomique.  Ainsi à contrario des potentiels réactifs empiriques tels que ReaxFF (qui présupposent une redéfinition complète des différentes contributions de l’énergie potentielle) l’approche EVB repose sur l’interaction de plusieurs états « diabatiques » de valence, pour lesquels l’énergie est calculée par un champ de force usuel. L’interaction entre les états intervient alors via un terme de couplage, à l’instar des couplages non adiabatiques en photochimie. Nous proposons de développer ce type de potentiels réactifs pour étudier la dynamique et la réactivité de nombreux systèmes (composés organométalliques en solution, interfaces solide-liquide / liquide-liquide / liquide-gaz, interfaces électrochimiques). Ces potentiels réactifs seront également utilisés dans des approches de dynamique moléculaire semi-classique (Langevin quantique) permettant d’intégrer une partie des effets quantiques nucléaires sans pour autant pénaliser l’effort calculatoire (Projet POCEMON). Enfin nous utiliserons ces mêmes potentiels pour la simulation de propriétés spectroscopiques (IR et Raman, RMN, …) intégrant à la fois les effets d’anharmonicité et quantiques nucléaires.

Axes transverses : Applications

La synergie Théorie/Expérience est un axe fort du Département, indispensable à l’évolution des méthodes théoriques développées dans les axes 1 et 2. L’application de ces outils théoriques à des cas concrets issus de travaux expérimentaux permet non seulement d’interpréter les observables mesurées, mais aussi de valider les méthodes et/ou mieux appréhender leurs limites. Les projets applicatifs initiés dans le département font clairement écho aux projets expérimentaux développés dans les autres départements de l’Institut, et seront donc l’occasion de pérenniser ou initier des collaborations inter-départements, en lien avec les thématiques transverses de l’Institut (Projets VIDICAT, RS2E). 

Les Matériaux d’Electrodes et les Electrolytes pour Batteries Métal-Ion

Dans le domaine du stockage de l’énergie, les recherches des 10 dernières années sur les matériaux d’électrode ont permis d’augmenter de manière significative la densité d’énergie des batteries Li-ion. La contrepartie de cette avancée scientifique majeure est que les électrolytes liquides utilisés dans ces dispositifs ont maintenant une fenêtre de stabilité en potentiel inférieure à la tension de la batterie. Cela conduit à des réactions parasites et à la formation de couches plus ou moins passivantes aux interfaces (SEI) qui nuisent au bon fonctionnement du dispositif. Comprendre les propriétés de solvatation et de transport ionique dans les électrolytes liquides ou solides développés aujourd’hui à l’échelle industrielle est un problème typiquement multi-échelle dans lequel la nature et la composition des solvants joue à la fois sur les propriétés locales de l’électrolyte (énergie de solvatation, structure des espèces solvatées …) mais aussi et surtout sur les propriétés de transport ionique à l’échelle meso- ou macroscopique (diffusion des ions, structure de la double couche électrochimique …). Ce thème s’appuie sur les développements réalisés dans l’Axe 2 pour aborder des systèmes réalistes, en étroite collaboration avec plusieurs groupes expérimentaux et industriels.

Catalyse Hétérogène

La catalyse hétérogène est une technologie clé pour de nombreux processus industriels ‒ de la pétrochimie à la valorisation de la biomasse ‒ pour lesquels la réactivité catalytique est assurée par des architectures différentes (surfaces, nanoparticules ou matériaux poreux). La transformation de biomasse en produits utiles pour l’industrie et respectueux de l’environnemental est un enjeu très important qui induit une compétition internationale très soutenue pour le développement de nouveaux matériaux adaptés, efficaces et économiquement viables.  L’étude théorique de ces processus catalytiques est effectuée en plusieurs étapes, incorporant des méthodes classiques (dynamique moléculaire, Monte Carlo) pour rechercher les sites actifs et identifier les interactions entre ces sites, et des méthodes quantiques (DFT, ab initio, AIMD) ou hybrides (QM/MM/solvants) pour quantifier ces interactions en tenant compte de l’environnement.  Lorsque la catalyse est supportée par des surfaces ou nanoparticules (NP) métalliques, d’autres paramètres comme par exemple la morphologie des NP, la nature et le type de surfaces ainsi que leurs taux de couverture doivent également être pris en compte pour accéder à une bonne description du processus catalytique et en déduire des tendances « universelles ». Maîtriser la complexité du matériau catalytique pour décrire correctement l’interface solide/gaz et solide/solvant représente donc un double défi pour le théoricien qui doit prendre en compte dans ses simulations atomistiques non seulement la variété des sites de surface (défauts, sites acido-basiques de Lewis et de Brønsted etc…) et des espèces présentes en surface (co-adsorbats, traces d’eau etc…) mais aussi les conditions expérimentales (température, pression de gaz etc…).

Méthodes spectroscopiques

La simulation et l’analyse théorique des mesures spectroscopiques est à la fois une source de validation des méthodes utilisées mais renseigne également sur la nature des espèces étudiées (structure, état électronique…) et l’impact de leur environnement. Il est donc important de pouvoir pousser la reproduction de l’information spectrale le plus loin possible, en associant les méthodes nécessaires (méthodes électroniques les plus poussées compte tenu de la taille et de la nature des espèces, couplage avec des méthodes dynamiques quand nécessaire). Par ailleurs, un effort doit être également fait sur l’interprétation des résultats. Ce dernier point est particulièrement important pour le dialogue expérience/théorie. Nous poursuivrons les études déjà engagées dans le cadre des spectroscopies RMN, IR-Raman et XAS, en intégrant les nouveaux développements méthodologiques proposés dans les axes 1 et 2 pour (i)  relier les propriétés d’anisotropie magnétique d’un atome à la nature de ses liaisons chimiques et aux propriétés catalytiques des complexes de métaux de transition, (ii) élucider les mécanismes d’insertion électrochimique à l’aide de la réponse vibrationnelle (Raman) de matériaux d’électrode désordonnés (Projet VASELINA), (iii) valider le mécanisme de couplage réducteur à l’origine de la redox anionique dans les matériaux d’électrode à haute densité d’énergie (Projet RS2E) et (iv) corréler les intensités IR aux transitions de phases dans les polymères organiques à faible taux de cristallinité.